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Le chapeau de Vermeer Le XVIIe siecle a l aube de la mondialisation Brook Timothy

Le chapeau de Vermeer - Le XVIIe siècle à l'aube de la mondialisation
Brook, Timothy


Editions Payot & Rivages, Paris, 2010.


In-8, broché sous couverture illustrée en couleurs, 299 pp.
Avec un cahier de 8 illustrations en couleurs en hors-texte.
Bon état. Menues marques d'usage en couverture.



Livre non disponible
Une des raisons que le prestige des tableaux de Vermeer exerce sur nous, écrivait en 1921 Jean-Louis Vaudoyer, « est dans le contraste qui existe entre ces personnages immobiles, tranquilles, vivant dans des intérieurs calmes et purs comme des miroirs, et cette passion, cette tyrannie des couleurs qui pèse sur eux et par laquelle ils semblent dominés, envoûtés, asservis. »


Dans Le Chapeau de Vermeer, le sinologue Timothy Brook étend cette tragédie plastique apparemment circonscrite au microcosme de la petite cité de Delft aux dimensions de la planète. Le renforcement sans précédent des échanges avec l’Amérique et la Chine, qui marque l’aube de la mondialisation, élargit d’une manière extraordinaire l’horizon des puissances maritimes européennes au XVIIe siècle. 

Dans cet essai qui mêle l’histoire économique et technique à l’anthropologie, le choix de Vermeer ne doit rien au hasard : l’œuvre de cet artiste, connu aujourd’hui par moins d’une quarantaine de toiles, repose en effet sur une tension permanente entre l’enfermement dans la sphère domestique et l’ouverture au monde extérieur. Les fenêtres ouvertes, les lettres lues à la dérobée et les cartes géographiques suspendues aux murs comme des emblèmes de la puissance maritime des Provinces Unies et de la VOC (la fameuse compagnie hollandaise des Indes orientales) ne cessent de déjouer le monde clos de ces intérieurs lustrés. Avec une dextérité jubilatoire qui lui permet de passionner le savoir, l’historien canadien fait éclater la bulle de cristal dans laquelle cet univers faussement paisible feint de sommeiller. Sept détails répertoriés dans autant de tableaux du maître de Delft offrent à l’auteur l’argument d’une exploration géographique et économique du passé, de ce XVIIe siècle qui vit naître la circulation intentionnelle des objets en direction de l’Europe : un chapeau de castor, une jatte de porcelaine chinoise faite au goût des Européens…. Cette présence en creux de la peinture ne prétend nullement réduire le tableau à sa simple valeur documentaire. Elle entend juste démontrer de quelle manière cette extension géographique du négoce a peu à peu modifié la vie des Européens. L’omniprésence de ces « signes tangibles du monde extérieur » dans l’œuvre de Vermeer manifeste à quel point l’espace n’était –déjà- plus à une seule dimension. Ainsi s’explique que des artistes, « fussent-ils aussi casaniers que Johannes Vermeer, aient entrevu les mutations qui s’amorçaient. » La pièce close et encombrée du Géographe (v. 1669), traduit sans emphase cette « envie passionnée de connaître le monde en le cartographiant » qui conduiraient les contemporains du peintre à apprendre à voir le monde différemment.

A partir du « castor » dernier cri qu’arbore le jeune galant de L’officier et la jeune fille riant (v. 1658), Brook remonte les liens cachés qui lièrent cette mode luxueuse masculine des chapeaux de feutre, issus de la fourrure de castor, à l’exploration du Canada par Champlain. La recherche –vaine- de la voie fluviale qui devait mener à la côte pacifique du Canada n’avait-elle pas pour but d’ouvrir un passage vers la Chine, objet de toutes les fascinations et convoitises occidentales ? Le chapeau de l’officier de Vermeer, dont le peintre aurait pu faire l’acquisition au coin de la rue, apparaît alors pour ce qu’il n’était pas à première vue : un sous-produit de cette « histoire partagée », mais plus encore un indice presque inconscient du rêve chinois qui anima ces explorateurs avides.
Après tout, n’est-ce pas ce qu’avait entrevu par d’autres détours empreints, eux, d’un certain impressionnisme le perspicace Vaudoyer : « Il y a dans le métier de Vermeer une patience chinoise, une faculté de cacher la minutie et le procédé de travail qu’on ne retrouve que dans les peintures, les laques et les pierres taillées d’Extrême-Orient » ?