Exemplaire sur papier courant de la deuxième édition.
L'art et la littérature n'ont toujours fait qu'un aux yeux de Huysmans. Lointain descendant d'un peintre du XVIIe siècle -Cornélius Huysmans-, petit-fils de peintre, neveu d'un professeur de peinture aux Pays-Bas, J.-K. Huysmans "se rachètera de cette trahison en écrivant sa vie durant sur la peinture." (Huysmans, Ecrits sur l'art 1867-1905, édition établie par Patrice Locmant, éd. Bartillat, 2006, p. 7) L'art moderne, publié en 1883, est le premier de ces trois recueils de critique d'art. Suivront Certains, en 1889 et Trois Primitifs, en 1905. En regroupant ainsi des articles dispersés dans la presse, Huysmans témoignait d'abord du désir de s'inscrire dans la tradition française des écrivains-critiques d'art, de Diderot à Stendhal et à Baudelaire -le titre même du recueil renvoie évidemment à la modernité baudelairienne- et ensuite de rendre visible aux yeux de ses lecteurs la cohérence qui sous-tend sa vision esthétique.
L'art moderne réunit des chroniques publiées dans différentes revues depuis 1879, dans lesquelles l'auteur commente aussi bien les expositions officielles que l'avènement de "l'art moderne". En 1883, le livre intervient opportunément sur la scène artistique alors qu'apparaît ce qu'on n'appelait pas encore la "crise de l'impressionnisme" : les dissensions entre peintres indépendants s'accentuent tandis que, d'un autre côté, les attaques menées au nom de l'art académique contre ce mouvement deviennent de plus en plus féroces. Dans ce contexte particulier, l'ouvrage écrit à la gloire de Monet ("le plus grand paysagiste des temps modernes", de Degas ("le plus original et le plus hardi")... apparaît comme le manifeste de l'impressionnisme, qui permet de plus à l'auteur encore naturaliste de se présenter "dans une position de découvreur visionnaire [...]. L'énergie que Huysmans déploie pour défendre la peinture impressionniste n'a d'égal que celle dont il fait montre pour condamner l'art académique [...] Huysmans met d'autant plus de coeur dans ce combat qu'il a pressenti très tôt des affinités esthétiques entre la peinture impressionniste et le projet du naturalisme littéraire." (
ibid., p. 25) Charpentier, qui publie
L'art moderne, n'était pas par hasard l'éditeur presque officiel du mouvement naturaliste.
La "haine" de l'écrivain-critique d'art envers le léché académique et son attachement viscéral à la notion même d'"indépendant" vont s'incarner dans un franc-parler résolument combatif, qui aurait pu compromettre la parution de son recueil. "Sa verve directe et sincère manqua d'empêcher la publication de
L'art moderne [...], dont il avait remis, au mois de juin 1882, le manuscrit à Charpentier. Ce dernier, en effet, apprécia assez moyennement les charges que portait Huysmans contre certains peintres qui travaillaient comme illustrateurs pour l'une de ses revues." (
ibid., p. 11) Huysmans fut contraint de tempérer quelques passages afin d'amener finalement Charpentier à publier cet ouvrage qui
joua un rôle déterminant dans le débat esthétique des dernières décennies du XIXe siècle.