Héritier, peintre et céramiste, collectionneur devenu historien d'art,
Etienne Moreau-Nélaton (1859-1927) fut un des grands donateurs de son temps. Son attrait pour la peinture de paysage n'est pas sans doute pas étranger à son passage dans l'atelier d'
Henri Harpignies, qui l'initia notamment à la peinture à l'huile à Saint-Privé.
Moreau-Nélaton acquiert régulièrement des oeuvres de Corot : pas moins de cinq en 1899, dont
Le Pont de Narni,
Volterra et
Le Lac de Brienz en 1900,
L'Eglise de Marissel en 1904. Le collectionneur se métamorphose en historien à l'occasion de la mort d'
Alfred Robaut, le gendre de
Constant Dutilleux, qui fut l'ami et l'un des premiers acheteurs de
Corot : "Le hasard, écrit Moreau-Nélaton dans son avant-propos, m'a conduit vers le fervent de
Corot qui s'est appelé
Alfred Robaut à l'heure où la défaillance de ses forces l'arrachait au monument destiné par lui à la glorification du maître bien-aimé qui, pendant quarante ans avait occupé ses efforts. [...] Appelé par un singulier retour à devenir son collaborateur de la dernière heure, j'ai exécuté fidèlement, dans cette tâche, le plan de l'auteur dont je prenais la place."
L'oeuvre de Corot (1905), autrement dit le fameux "Robaut", ne comportait pas moins de quatre volumes consacrés au catalogue de l'oeuvre ; à cet ensemble monumental auquel il avait plus que collaboré, Moreau adjoignit un volume supplémentaire :
L'Histoire de Corot, opus écrit à partir de sa correspondance et des confidences de ses carnets, afin de faire "vibrer la voix" de l'artiste. Dès 1905, l'ouvrage surnuméraire connut une première réédition, séparément de l'ensemble. La possibilité de republier de façon autonome un fragment de cette vaste publication révèle l'intuition éditoriale de l'auteur.
La somme publiée en 1924,
Corot raconté par lui-même, est en grande partie une reprise de l'édition de 1905. "Malgré son titre inédit, reconnaît modestement
Moreau-Nélaton, c'est une fleur d'antan qu'on se pique de faire refleurir. [...] Toutefois, en faisant peau neuve, ces lignes qui entrent dans leur vingtième année, se sont grossies de quelques pages plus jeunes, issues de la même veine que leurs devancières." La grande nouveauté de cette parution réside dans l'usage novateur de l'illustration -la dédicace de l'auteur au photographe Yvon en fait preuve. Aux antipodes de la photographie unique de catalogue destinée à la simple identification de l'oeuvre, l'illustration devient ici une composante à part entière de l'évocation d'une oeuvre, le support d'une discrète confession intime, "propre à éclairer tous les mots du texte", selon la formule de Louis de Launay. Son abondance fait l'objet d'une véritable composition visuelle, évocation poétique qui n'est pas sans rappeler le charme intimiste de la musique de chambre française du début du XXe siècle.