L'architecte Albert Laprade (1883-1978) publia son premier album de croquis en pleine guerre, en 1942. Un deuxième volume -sur l'Est- devait paraître la même année et les ouvrages successifs composant la première édition s'échelonneront jusqu'en 1967.

 Dès sa jeunesse, Laprade avait été initié à l'exercice du croquis d'architecture par un grand-oncle architecte. "Ainsi naquit une habitude dont Laprade ne se départira plus", écrit Vincent Barré. Devenu lui-même architecte, Laprade n'aura de cesse d'arpenter la France, des métropoles régionales aux plus petites villes de province, en croquant inlassablement l'architecture ancienne anonyme dans ses carnets de plus en plus nombreux. "Mon intention, précisera Laprade dans sa préface au dernier volume, s'est portée comme d'habitude sur ce qui était modeste, spirituel, curieux, reflétant le mieux possible la fantaisie et l'imagination sans fin de nos ancêtres."

Accentué par la guerre, son goût pour le dessin d'architecture participait du sentiment inquiet de la fugacité des oeuvres : "La mort lente et silencieuse de tant et tant d'oeuvres d'art, écrivait-il, fend le cœur de tout être ayant quelque amour pour l'art..."
Pris sur le vif, ses dessins au crayon d'un style net et précis furent ensuite "portés au crayon sur des calques de même format puis repassés à l'encre de Chine." Laprade alternait les vues d'ensemble et les saisies de détails, ponctuant ses planches de brèves annotations d'ordre historique ou technique.  L'originalité de la mise en page redouble ce jeu entre effet graphique de saturation -qui restitue le contexte- et attention portée au détail isolé - qui magnifie l'exception.
Cet attachement au passé n'était pas que nostalgie patrimoniale. Dans ce volume sur le Nord, Laprade insiste régulièrement sur "l'influence de la mode, le constant modernisme des anciens, leur passion des "novalités", l'aspect toujours changeant de nos ensembles urbains..." Laprade venait, entre autres, d'être nommé urbaniste en chef de la reconstruction de Valenciennes. Alors que l'urgence imposait aux architectes de définir les principes de la reconstruction, sa publication constituait aussi une manière discrète d'opposer son modernisme classique, attaché aux traces éventuelles du passé, aux théories plus radicales de la Charte d'Athènes.