L'essai que consacre l'abbé Lemire au cardinal Manning, en 1893, est vite devenu un des ouvrages de référence du catholicisme social, si vivace dans les années 1890. Après qu'il a achevé un an plus tôt son premier livre : L'abbé Dehaene et la Flandre (Deman, Lille, 1891), solide monographie consacrée à son maître et qui fit de son auteur une personnalité reconnue dans le clergé du Nord, l'abbé Lemire abandonne la Flandre et l'histoire locale de ses débuts pour l'Angleterre.

"Depuis des années, Lemire vouait une vive admiration au cardinal Manning, incarnation à ses yeux du monde anglo-saxon, démocrate, et libre de la tutelle de l'Etat." (J.-M. Mayeur, Un prêtre démocrate, l'abbé Lemire, Casterman) Repris à sa demande par l'éditeur Lecoffre, une maison qui comptait dans le monde parisien de l'édition catholique, l'ouvrage reprenait en fait une série d'articles publiées dans la Revue de Lille, de mars à octobre 1892. Ecrites après la mort du cardinal anglais en janvier 1892, ces livraisons se voulaient moins une biographie qu'un essai sur l'attitude de Manning face au monde moderne. Cette parution, en mars 1893, valut à l'abbé Lemire une notoriété certaine sur le plan national. "Le livre, écrit J.-M. Mayeur, paraissait au bon moment, il allait au devant de cet intérêt immense pour la question religieuse et la question sociale qui définit les années 1890, il répondait à cette immense curiosité pour les Eglises d'outre-Manche et d'outre-Atlantique." Les catholiques libéraux, les catholiques sociaux et les démocrates chrétiens lisent le livre avec enthousiasme et quelques mois après la parution, l'abbé Lemire est élu à la députation, son livre prenant alors la dimension d'un véritable programme :" le souci de rénovation religieuse passait par de nouvelles attitudes sociales et politiques." Réédité en 1894, l'essai est traduit en italien en 1900. Hormis de nombreux articles et discours, ce succès éditorial sera le dernier, l'abbé Lemire n'ayant plus désormais le temps de s'adonner à l'écriture de tels ouvrages. Réélu à de nombreuses reprises au Palais-Bourbon et plus tard à la mairie d'Hazebroucq, Lemire allait peu à peu devenir ce "révolté inscrit au parti de la Gauche radicale (...)" (Marguerite Yourcenar)