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Le Carnet d'un sculpteur

Crauk, Gustave 

&

Crauk, Marguerite G.


Gabriel Beauchesne, éditeur, Paris, 1930.


In-8, broché, 217 pp.
Exemplaire non coupé.
Assez bon état. Couverture légèrement passée avec des taches sur le plat supérieur, une déchirure en page de garde, sinon bon état intérieur.



Livre non disponible
Les écrits de sculpteurs sont assez rares dans la France du XIXe siècle. Due sans doute pour une part au caractère hâtif de la formation culturelle de bien de ces artistes, cette rareté de fait ne fait que renforcer l'intérêt de ce Carnet d'un Sculpteur.


Frère cadet du peintre Charles Crauk (1819-1905), Gustave, né en 1827, a suivi précocement les traces de son frère à l'Académie de peinture et de sculpture de Valenciennes, avant de rejoindre Paris en 1845. Il sera successivement l'élève de Ramey fils, Dumont puis Pradier, en 1847. 

Il remporte le prix de Rome en 1851 (avec Les Grecs et les Troyens se disputant le corps de Patrocle) et séjournera cinq ans à Rome. De 1856, date de son retour à Paris, à sa mort, en 1905, Crauk connaîtra une longue carrière ponctuée de commandes publiques incessantes, dont la plus célèbre demeure le Monument à l'amiral de Coligny (1892). Portraitiste apprécié, l'artiste exposera régulièrement au Salon, où il reçut maintes distinctions honorifiques. De même que Carpeaux, Crauk offrit à sa ville natale les modèles ou esquisses de nombre de ses oeuvres. Le musée Gustave Crauk fut ainsi inauguré en 1902 : "les statues abondent dans cet oeuvre immense dont le seul musée G. Crauk, à Valenciennes, peut donner l'idée ; prodigieuse fécondité : près de trois cents ouvrages sortis des mains d'un homme qui n'eut jamais recours à aucun subterfuge, n'admettrait aucune négligence et ne se fit jamais aider [...] L'oeuvre qui devait être terminée le jour même où le vaillant et généreux sculpteur quitta son atelier pour n'y plus revenir, le 5 novembre 1905, est un buste du Christ [...] Il a été la dernière manifestation de cette grande âme d'artiste et son viatique suprême." (Introduction anonyme à son Carnet d'un sculpteur.) 

Partiellement détruit en 1940, ce fonds largement amputé se trouve aujourd'hui au musée des Beaux-Arts de la ville. Le Carnet d'un sculpteur est une publication doublement posthume : elle fait suite au décès du sculpteur et à la disparition de sa veuve, Marguerite Gondoin -petite-fille de l'architecte Jacques Gondoin-, en 1929. "Déjà de son vivant, ce célèbre sculpteur avait projeté d'écrire ses souvenirs ; car des nombreux bustes qu'il a créés de son fécond et merveilleux ciseau, presque tous étaient des portraits d'amis de longue date... Très lettré, souligne son exécuteur testamentaire, il avait beaucoup retenu des nombreuses conversations qu'il avait eu tant en dehors qu'en dedans de son atelier. Sa femme, qui avait une prodigieuse mémoire, avait entendu et avait pris de nombreuses notes. Ils avaient tous deux résolus de faire paraître le Carnet d'un sculpteur. Mais la maladie et la guerre de 1914 en ont décidé autrement. Toutefois, de nombreuses notices sont terminées. L'exécuteur testamentaire se fait un pieux devoir de les faire paraître." 

Le récit de l'enfance valenciennoise de l'artiste, dû très probablement à son épouse, offre un tableau vivant et touchant de la naissance d'une vocation dans un milieu nullement étranger à la musique et au théâtre, mais rétif à l'idée même d'une carrière artistique. 

Marguerite Crauk emprunte certes aux poncifs romantiques de la souffrance du gamin pauvre aspirant à une autre existence : "l'enfant qui arrivait là allait se dévouer, se sacrifier à son art, autant que le prêtre à son sacerdoce [...] N'importe, il recommence, il sait déjà qu'il faut peiner dans la vie et que c'est dur ; son courage s'y façonne." Elle se montre convaincante lorsqu'elle démontre le rôle essentiel joué par l'académie locale -et le peintre Pottier, en l'occurence- et son aptitude à déjouer le déterminisme sociologique en soutenant l'affirmation juvénile d'une vocation que tout contrariait socialement. Dans ce récit quelque peu édifiant, qui révèle à quel point la biographie de tant d'artistes académiques fut façonnée -et quelque peu idéalisée rétrospectivement- par l'idéal méritocratique de la IIIe République, la récompense -autrement dit le jugement de la postérité- finit naturellement par se manifester : "Le voici qui traverse la place Verte, où s'élève le pavillon qui doit, soixante-dix ans plus tard, devenir le musée de ses oeuvres, le musée Gustave Crauk ; s'il eût pu en avoir la vision, quel étonnement, quel éblouissement! Mais il chemine sans rien savoir de la grande et glorieuse tâche qui l'attend, pauvre gamin, et dur à lutter!"